BEAUNE

« Je fais un vin que j’aime et qui me ressemble à un moment de ma vie » rencontre avec Ludivine Griveau, régisseur des Hospices de Beaune

« Je fais un vin que j’aime et qui me ressemble à un moment de ma vie » rencontre avec Ludivine Griveau, régisseur des Hospices de Beaune
© Hospices de Beaune

Dans cette suite de l’entretien accordé à Info-Beaune, Ludivine Griveau, régisseur des Hospices de Beaune, parle de ses vins et des vendanges 2023, de sa méthode moderniste et un peu révolutionnaire et ses réussites. Une femme qui ne perd jamais de vue l’objectif : être à la hauteur des exigences qu’impose ce Domaine d’exception pour donner des millésimes prestigieux, connus et recherchés dans le monde entier.

La finalité reste la vente des vins du 19 novembre 2023, plus ancienne vente aux enchères caritatives et la vente aux enchères de vin la plus renommée au monde.
 
Quels changements en matière de nouvelles méthodes de travail avez-vous opéré ? Quels en sont les effets ? 
Aujourd’hui, je suis en mesure de constater les effets de ce que j’ai mis en place. Et ils sont plutôt positifs, notamment ma politique d’engrais, la fumure. Avant, le parti pris était de ne pas apporter d’engrais sur l’ensemble du parcellaire en réaction à des choix précédents d’en mettre plein. A mon arrivée, la vigne avait trop faim : j’ai réajusté le balancier humblement, avec de l’engrais à dose homéopathique. Certains ceps sont plus vigoureux, donnent plus de fruits… Ce n’est que l’observation dans le temps qui permet cela. Cela prend du temps de « retaper » le réservoir nutritif et cela dépend des conditions climatiques aussi (pluie, températures…). Sur la partie vinification, j’ai apporté des changements avec une date de récolte et une méthode selon une approche plus parcellaire en réussissant à séparer les vendanges selon les Climats (78 en rouge et blanc) : par exemple Les Bressandes donneront 3 cuvées différentes au moment des vendanges avant une seule, et c’est seulement après qu’elles seront assemblées avec d’autres cuvées. Cela oblige une logistique de dingue, un planning de vendanges selon la maturité parcellaire. Depuis, on constate un retour positif sur la qualité des vins, - sans dire qu’avant c’était mauvais -, mais j’ai apporté une clarté et une précision dans la lecture de nos cuvées. Ce résultat me conforte dans mes choix. C’est plus difficile, plus contraignant mais le gap qualitatif est avéré. C’est aujourd’hui reconnu et c’est rentré dans les mœurs pour l’équipe, pour qui cette méthode a changé beaucoup de choses : avant chacun passait 2,5 jours à vendanger sur leurs parcelles, aujourd’hui ils ne vendangent pas forcément les leurs, mais c’est nécessaire pour la qualité.
 
Comment s’annoncent ces vendanges ?
Nous avons la chance ici en Bourgogne d’avoir un bon état sanitaire des vignes, c’est suffisamment compliqué ailleurs. La récolte sera bonne, elle est plutôt généreuse sur pied ce qui va assurer du bon vin en quantité suffisante. J’aurai toujours mon lot d’incertitudes de peurs, de trac. Je serai sereine seulement quand tout sera rentré dans les cuves. Mais on s’attend à de jolis vins. Les vendanges s’annoncent précoces, début septembre grâce à un coup de pouce de la météo plus clémente. Cela nous laisse un certain confort, on pourra attendre si la maturité n’est pas au rendez-vous. Par contre, cela bouscule les habitudes des équipes dans leurs congés et la préparation de la cuverie.
Pour les 12 à 14 jours de vendanges, nous aurons besoin de 140 personnes par jour pour les vendanges (7 équipes de 20 personnes seront engagées) et de 35 en cuverie Comme tout le monde nous sommes confrontés au manque de main d’œuvre même si les conditions de travail ont changé. Nous sommes attractifs. Nous avons grandement facilité le travail dit pénible, il n’y a plus de porteur, plus de hotte, la cantine est bonne, le taux horaire est supérieur au SMIC. Nous faisons appel à nos partenaires des centres d’aides par le travail : le SDAT (Solidarité, Dignité, Accompagnements, Travail) de Beaune nous envoie 27 personnes et 9 de l’EAV (Entreprise Adaptée Viticole).

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Ludivine Griveau et son équipe pendant les vendanges © Hospices de Beaune

Quel sera votre travail jusqu’à la vente des vins prévue le dimanche 19 novembre ?
Ce sont des semaines de travail de titan qui nous attendent pour vinifier 33 cuvées en rouge et 18 en blanc qui donneront 800 pièces de vin en moyenne de 228 l pour une trentaine d’appellations. Entre l’assemblage, la descente des vins en fût, la préparation de la cave et la vinification sans oublier le portage médiatique et technique qui va de la dernière semaine d’octobre jusqu’aux dégustations et les enchères. Ce sera intense pour préparer les 51 échantillons de dégustation. Tout l’univers du vin français et étranger sera présent sur les 15 derniers jours : professionnels de la viticulture, œnologues, commerciaux, clients français et étrangers, journalistes… seront reçus pour déguster ce millésime 2023. Il faut arriver à faire des vins de garde qui soient montrables et buvables au mois de novembre, après un mois de vinification.
La vente est un moment stratosphérique, les vins valent ce que les gens sont prêts à mettre comme argent. Je fais un vin que j’aime et pas un vin pour la vente des vins, sinon ce serait schizophrénique. Je ne me lève pas chaque matin pour vendre du vin. C’est un confort pour moi. Je le fais avec ce que je suis, c’est un vin qui me ressemble à un moment de ma vie et il faut le faire avec quiétude et être en forme.
 
Comment qualifierez-vous ce vin qui vous ressemble ?
C’est un vin qui fera plaisir, un peu complexe, un vin rouge coloré, un blanc épuré, efficient, avec une grosse pureté dans le fruit à chaque fois, et beaucoup d’élégance et d’âme. Mon rôle sera mon travail en cuverie, nous sommes tous égaux devant la raclette. C’est un moment de partage, je serai avec mon équipe de 3 personnes complétées pendant la vinification pour transmettre aux vins ses nuances, des vins sur-mesure, chaque cuvée est différente, sans recette identique. Nous écrirons ensemble cette nouvelle page, mais nous serons rattrapés par le millésime, par ce que la nature donne. Le plus gros travail sera fait dans les vignes et dans la mise en œuvre sans solution miracle avec l’objectif d’être le meilleur, dans le haut du panier quel que soit le millésime.

Jeannette Monarchi

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