BEAUNE

Musée des Beaux-Arts de Beaune - Série sur les trésors cachés : décryptage du portrait de Gaspard Monge

Musée des Beaux-Arts de Beaune - Série sur les trésors cachés : décryptage du portrait de Gaspard Monge

Le Musée des Beaux-Arts de Beaune renferme des trésors d'une grande valeur historique et artistique. Parmi eux, le portrait de Gaspard Monge réalisé par Jean Naigeon en 1811. Ce tableau, premier inscrit à l’inventaire du Musée, y est entré en 1864. Delphine Cornuché, chargée des collections, nous en offre un décryptage détaillé.

Commande de la ville de Beaune en 1811 par le maire Jean-Baptiste Edouard, ce portrait rend hommage à Gaspard Monge, natif de Beaune en 1746. Grand mathématicien et homme politique, Monge est un enfant du pays à qui la ville vouait une profonde affection. Exposé la saison dernière lors de l’exposition « Destins croisés », ce tableau accueillait les visiteurs avec majesté au fond de la première salle d’exposition.
 
Gaspard Monge : une vie de réalisations
Gaspard Monge, mathématicien français (1746-1818), était à l'apogée de sa gloire en 1811. Sénateur de Liège, comte de Péluse, grand officier de la Légion d'honneur, et fondateur de l'École polytechnique, Monge n'avait plus rien à envier. La ville de Beaune, fière de son fils éminent, souhaitait posséder son image.
Jean-Baptiste Edouard, maire de Beaune et ami de Monge, choisit Jean Naigeon, un peintre beaunois de renom, pour réaliser ce portrait. Ce dernier, honoré de cette commande, mit tout son talent et son cœur dans cette œuvre patriotique.
 
Parcours et contributions de Monge
Né en 1746 à Beaune, Gaspard Monge a fréquenté le collège des Oratoriens de Beaune, où il était surnommé « l'enfant d'or » en raison de ses capacités remarquables. Entre 1762 et 1764, il poursuit sa formation au collège de la Trinité à Lyon. Encore élève, il dresse un plan de Beaune avec son camarade Eugène Fion, démontrant son aptitude à restituer avec une précision géométrique ce que l’œil perçoit déformé par la perspective. En 1764, il est recruté comme dessinateur à l’École Royale du Génie de Mézières, où il doit endurer les affronts dus à sa condition roturière. Monge réalise plusieurs plans de fortification et se forge une belle réputation en enseignant la géométrie descriptive. Il maintiendra toujours des liens solides avec ses élèves, dont Lazare Carnot.
 
Une œuvre académique et monumentale
Représenté à l'âge de 65 ans au Palais du Luxembourg, ce portrait témoigne d’un art académique figé dans sa monumentalité. Il s’agit d’un portrait d’apparat conventionnel, peint à mi-corps, avec Monge en figure centrale. Toute émotion est bannie de ce portrait monumental.


En détail sont figurés le plan de Beaune, des allusions aux mathématiques et à l'Egypte @Musées de Beaune

Jean Naigeon a assorti l'œuvre d’objets qui rappellent les succès et le parcours de Monge, notamment le plan de Beaune aujourd'hui conservé à la bibliothèque Gaspard Monge, bien que très effacé. D'autres aspects scientifiques sont évoqués avec des livres, des compas et des équerres, autant de rappels de sa carrière scientifique et de ses écrits, notamment en référence à ses mémoires académiques sur la géométrie descriptive, les différentielles et la combinatoire. Le modelé est sec, l’expression figée et la mise en scène pesante.
En 1792, Gaspard Monge devient ministre de la Marine, se construisant ainsi un destin national. En parallèle de ses travaux scientifiques, il contribue au développement des ports militaires et à la perfection de la poudre à canon pour l’armement. De retour à la vie civile, il redevient enseignant et fonde l'École polytechnique, où il enseigne et dirige. En 1796, il rencontre Bonaparte lors de la campagne d’Italie, une figure historique pour laquelle il développe une profonde admiration et amitié. En 1798, il participe à la campagne d’Égypte, évoquée dans le tableau par la présence d'un sphinx, et est nommé président de l’Institut d’Égypte du Caire.
En 1799, Monge reste proche de Bonaparte, devient grand officier de la Légion d’honneur, sénateur et Comte de Péluse en Égypte. En 1803, il devient vice-président du Sénat, puis président en 1806. Il est représenté sur le tableau en costume somptueux, arborant la Légion d’honneur et la Croix de fer.
Ce portrait est frappant par son côté somptueux, avec des effets d'or et des jeux de dentelle traduisant un art académique aux nombreux plis, une expression figée et un aspect raide. C'est une huile sur toile de grandes dimensions, mesurant 170 × 138,5 cm. Il a été exposé l’année dernière dans le cadre de l’exposition « Destins croisés ».
 
Une histoire documentée
Le portrait est bien documenté, notamment grâce à la notice réalisée en 1888 par Paul Edouard, petit-fils du maire, qui retrace toute l’histoire du tableau à partir des documents archivés à Beaune et des correspondances entre Jean Naigeon et le maire. On retrouve également une facture émise par Jean-Louis Bennet, membre d'une famille d'artistes de Beaune, pour le cadre et le vernis, s'élevant à 126,25 francs. Le tableau lui-même a coûté 800 francs et a trouvé sa place en 1812 dans l’ancienne salle du chapitre de l’hôtel de ville, avec une inscription attestant de sa pleine satisfaction auprès du public.
Au dos du tableau, une note de la main de Jules Pautet, bibliothécaire de l’époque, renseigne sur les changements de place du tableau. En 1814, lorsque Gaspard Monge tombe en disgrâce en raison de son amitié avec Bonaparte et la chute du Premier Empire, le portrait est décroché et caché dans une armoire. Il ressort avec la Révolution de juillet pour être installé dans la salle du conseil municipal de l’hôtel de ville, puis dans la salle de la bibliothèque entre 1838 et 1841.
Les descendants de Monge ont emprunté le tableau pour en faire une copie, dont on ignore l'emplacement actuel. Le tableau entre dans les collections du musée en 1850. Une autre copie a été commandée en 1841 par le roi Louis-Philippe pour Versailles, réalisée par le fils de Naigeon, Jean Guillaume Isidore Naigeon.
 
Restauration prévue
Le portrait de Gaspard Monge par Jean Naigeon est un témoignage précieux de l’histoire de Beaune et de l'art académique du XIXe siècle. Il illustre la reconnaissance de la ville pour un de ses fils les plus illustres, dont les contributions scientifiques et politiques ont marqué l’histoire de la France.
Même s’il est en bon état, le portrait fera l’objet d’un projet de restauration en 2024-2025 pour lui redonner une certaine harmonie. Cette restauration consistera à retendre la couche picturale, stabiliser la tension de la toile, apaiser le système de craquelures et nettoyer le vernis oxydé afin de restaurer l'esthétique et la visibilité du portrait. Les dégradations actuelles sont dues à la qualité des matériaux utilisés et à une gestion inadéquate du temps de séchage pour chaque intervention lors de la création du tableau au XIXe siècle.

Jeannette Monarchi

A suivre dans quinze jours un éclairage sur le métier de régisseur technique, avec William Piéron.