BOURGOGNE

Menace de surtaxe américaine – « Si cette taxe est appliquée, le marché américain s’arrêtera net, plongeant la Bourgogne dans le déficit », explique Laurent Delaunay

Menace de surtaxe américaine – « Si cette taxe est appliquée, le marché américain s’arrêtera net, plongeant la Bourgogne dans le déficit », explique Laurent Delaunay

Face à la guerre commerciale entre l’Europe et les États-Unis, les vins de Bourgogne risquent gros. Avec 23,5 % de son chiffre d’affaires réalisé aux États-Unis, la Bourgogne pourrait subir un choc brutal. Laurent Delaunay, président du BIVB, revient sur les conséquences économiques et diplomatiques d’une telle mesure.

La Commission européenne a confirmé le 12 mars dernier son intention de répliquer aux droits de douane de 25 % imposés par Donald Trump sur l'acier et l’aluminium européens en taxant certains produits américains, notamment le bourbon et les vins américains. En réponse, Donald Trump a menacé d'imposer une surtaxe de 200 % sur les vins européens et champagnes, une mesure qui pourrait avoir de lourdes conséquences pour la filière viticole française.
Face à cette menace, Laurent Delaunay, président du Bureau Interprofessionnel des Vins de Bourgogne (BIVB), exprime ses inquiétudes et analyse les enjeux pour la filière.
 
Info-Beaune.com : Quel serait l’impact concret d’une surtaxe de 200 % sur les producteurs bourguignons ?
Laurent Delaunay : C’est très simple : si cette menace se concrétise, le marché américain s’arrêtera net pour les vins français. Aucun importateur ne pourra continuer à acheter des bouteilles dont le prix aura été multiplié par trois. Le consommateur américain, habitué à un certain tarif, ne suivra pas non plus. Nos vins deviendraient simplement hors marché. Il est possible qu’un effet de stock temporaire nous donne un sursis, mais nous ignorons encore si cette surtaxe s’appliquerait uniquement aux nouvelles importations ou aussi aux stocks déjà présents aux États-Unis.
 
Quelles catégories de vins seraient les plus touchées ? Sont-ce principalement les grands crus ou l’ensemble de la filière ?
L. D. : Malheureusement, toute la filière serait touchée, à des degrés divers. Mais l’impact sur la Bourgogne serait particulièrement violent : les États-Unis sont de loin notre premier marché d’exportation, après la France. Les États-Unis sont le premier marché d’exportation des vins de Bourgogne, représentant 23,5 % du chiffre d’affaires et 22 % des volumes exportés en 2024.  Depuis plus d’une décennie, nous avons investi massivement pour faire connaître et apprécier nos vins aux consommateurs américains. Ça demande une grande force de persuasion car nos produits sont chers. Un tel choc tarifaire briserait ce travail de longue haleine.
 
L’interdiction d’accès au marché américain pourrait-elle entraîner un afflux de vins de Bourgogne en Europe et faire baisser les prix ?
L. D. : C’est une hypothèse possible, mais elle ne résout rien. Il n’y a pas de marché de substitution équivalent aux États-Unis. Nous exportons déjà dans 180 pays, nous sommes au maximum de nos capacités. Un tel afflux de vins en Europe pourrait effectivement faire baisser les prix, mais dans un contexte où la consommation est déjà en recul en France et en Europe. Le marché est déprimé, même s’il y a une baisse des prix. Cela ne relancerait pas la machine, au contraire : cela plongerait la Bourgogne dans une spirale déficitaire.
 
Lors de son premier mandat, Donald Trump avait déjà imposé une taxe de 25 % sur certains vins français entre 2019 et 2021. Quel avait été l’impact pour les vins de Bourgogne ?
L. D. : Ce fut un coup dur. Nous avons constaté une baisse de 25 % des expéditions vers les États-Unis, ce qui montre à quel point ce marché est sensible aux variations tarifaires. Cependant, une taxe de 25 %, bien que lourde, restait gérable à court terme. Les producteurs et négociants ont trouvé des solutions, en partageant les coûts de cette taxe. Chacun a fait le dos rond. Une surtaxe de 200 % est totalement hors de proportion : elle rendrait tout simplement nos vins inaccessibles.
 
L’Union européenne avait négocié la suppression de ces taxes en 2021. Une solution diplomatique est-elle encore envisageable ?
L. D. : C’est notre seul espoir et c’est ce sur quoi nous concentrons nos efforts à court terme, dans les quelques jours à venir. Notre priorité immédiate est de convaincre les négociateurs européens de ne pas inclure le bourbon et les vins américains dans la liste des produits surtaxés en représailles aux taxes américaines sur l’acier et l’aluminium. C’est cette décision qui a provoqué la riposte de Trump.
Malheureusement, les vins français sont une cible facile, car ils ont une forte valeur symbolique. Nous commençons avoir l'habitude d’être taxés et je le déplore. Nous avions conseillé aux décideurs de ne pas inscrire ces produits dans la liste des marchandises surtaxées, mais nous n’avons pas été écoutés. Le problème, c’est que les vins californiens sont peu exportés en Europe, et qu’ils sont produits dans des États opposés à Donald Trump. Ce n’est donc pas une mesure qui le touche vraiment. Cela ne l'affectera que marginalement, tandis que l'impact sur la filière française sera brutal, immédiat et catastrophique : nos exportations représentant 4,5 milliards d'euros. Nous avions déjà conseillé aux négociateurs, souvent déconnectés de la réalité du terrain, d'éviter cette approche. Contrairement à eux, nous sommes en contact direct avec les importateurs américains.
Nous avons quelques jours seulement pour convaincre l’Union européenne de revenir sur sa décision et d’éviter une guerre commerciale destructrice pour nos producteurs. Nous espérons encore que la voix du dialogue prévaudra pour calmer le jeu, et ainsi revenir sur une discussion raisonnable.

Jeannette Monarchi

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